ArcInfo_22 décembre 2018

Et si nous osions nous planter ?

Le mois de décembre se présente à nous chaque année avec la régularité d’un métronome. Période adorée ou détestée, la fin de l’année ne laisse personne indifférent. Le monde du travail et ses acteurs n’y échappent pas non plus, entre bilans et chiffres d’affaires à réaliser, elle vient cristalliser à elle seule tous les espoirs de l’année écoulée. Qu’en est-il quand les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes ? Déceptions et sensations d’échec pointent alors leur bout du nez.

Observez autour de vous, qui parle spontanément de ses échecs ou reconnait qu’il s’est trompé ? Rares sont les personnes qui osent exposer aux yeux des autres leurs faiblesses, leur vulnérabilité. Encore très imprégnée de l’héritage de Descartes « Quand tu veux, tu peux », notre société est prompte à étiqueter les «winners» (gagnants) et  les «losers» (perdants). On n’aime pas l’échec et encore moins ce qu’il nous fait vivre. Pourtant, l’échec est un ami mal-aimé et incompris.

Contrairement aux pays nordiques ou aux Etats-Unis, on ne nous apprend pas à nous familiariser avec le manque de réussite et l’insuccès. Tout notre parcours d’apprenant, depuis notre premier dessin à l’école enfantine jusqu’aux plus hauts niveaux d’études nous oblige à apprendre juste, à apprendre par cœur et sans faire de faute. Des expériences menées auprès d’enfants en bas âge ont montré que lorsque l’on force un enfant à dessiner une maison « correctement » selon la représentation habituelle avec une base carrée pour le corps du bâtiment et un triangle comme toit, on introduit une perturbation dans la manière d’apprendre de l’enfant et au lieu d’accélérer celle-ci, on la ralentit considérablement. On ne nous encourage pas à sortir des chemins battus et à explorer les bénéfices de ces apprentissages. Et cela n’est pas sans conséquence dans nos vies professionnelles, car il n’est pas possible d’apprendre sans se tromper.

Qui n’a pas eu dans son entourage, ces personnes pour qui tout était facile, qui réussissaient tout ce qu’elles entreprenaient et dont on a peut-être envié l’aisance, alors que nous peinions de notre côté ? Mais voilà, il y a un revers à la médaille. Les personnes qui n’ont jamais connu d’échec scolaire ou professionnel deviennent extrêmement vulnérables au moment où cela se produit.  Habituées à la réussite, le choc de l’échec peut être dramatique et enclencher une spirale négative déstabilisant fortement la personne. Elles en viennent à perdre confiance en leurs capacités qui ne les avaient jamais trahies jusque-là, à douter de leur confiance en elles-mêmes, à perdre l’estime d’elles-mêmes et à ne plus savoir comment faire, à se sentir totalement paralysées. Il est du reste amusant de noter que l’étymologie du mot échec vient du jeu du même nom et que les mots « échec et mat » (le roi est mort) sont prononcés au moment où le roi ne peut plus bouger. Quand on ne fait plus la distinction entre la situation d’échec et soi-même, on devient l’échec.

Alors comment faire pour rebondir lorsque l’on n’a pas appris ? Le livre de Fabrice Midal « Foutez-vous la paix et commencez à vivre » aux éditions Flammarion nous donne des pistes intéressantes à explorer. Il nous invite à nous libérer du juge impitoyable que nous sommes envers nous-même pour se découvrir en dehors de notre zone de confort avec beaucoup plus de ressources que nous l’imaginons.

Exemples choisis des titres des chapitres et extraits de textes. Cessez de vous torturer, devenez votre meilleur ami. Cessez de vouloir être parfait, acceptez les intempéries. Cessez de vous comparer, soyez vous-même. Cessez de chercher à tout comprendre, découvrez le pouvoir de l’ignorance. Cessez de rationaliser, laisser faire.

Cessez d’obéir, vous êtes intelligent. Vous voulez réussir un examen, en entretien, une présentation ? Commencez par vous foutre la paix. Libérez-vous des carcans qui vous emprisonnent sans même que vous vous en rendiez compte. Découvrez d’autres forces, d’autres atouts qui tiennent de la capacité d’inventer une réponse. Le candidat à un entretien d’embauche qui s’en tient à ce qu’il a prévu de dire, qui a répété son discours sera déstabilisé quand on lui posera une question à laquelle il ne s’attend pas. Au lieu de faire preuve de la présence d’esprit nécessaire, il sera coincé dans ce qu’il a appris, dans les règles du comment « bien » faire qu’il cherchera à appliquer à la lettre. Dans son obsession de vouloir tout contrôler, il ne pas prêt à entrer dans la danse. Il va s’empêcher de donner le meilleur de lui-même.

Cessez de méditer, ne faites rien. Pourtant, je sais d’expérience que lorsque je me contente de constater que je suis crispé et que je m’autorise sincèrement à le rester, quand je me fous la paix avec ma crispation, je finis curieusement, le plus souvent par me détendre très vite. C’est ce geste-là, à la fois si simple et si compliqué, le fait d’oser se laisser tranquille, l’audace de se foutre la paix, que j’appelle méditation. Au fond, on ne médite qui si on arrête de chercher à méditer. Si on se débarrasse de l’impératif de devoir réussir quelque chose, d’accomplir quelque chose, de répondre à un objectif. Donc, d’être dans l’angoisse de l’échec. 

Et comme le dit Sénèque, la vie n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est apprendre à danser sous la pluie, alors osons faire fô.