Du Label Emploi au bel emploi
Au printemps dernier, en me rendant dans une des salles de formation de ce grand EMS (établissement médico-social) qui valorise une approche intergénérationnelle en intégrant à sa structure une crèche, la location de salles de séminaire et un restaurant ouvert au public, mon regard s’est posé sur une plaque fixée au mur. En y regardant de plus près, je découvre que l’établissement vient de se voir décerner un label pour «bon traitement à ses résidents » ou exprimé différemment contre la maltraitance des personnes âgées en institution.
Si une partie de moi perçoit positivement cette information, il est toujours plus agréable de se dire que l’on côtoie un endroit respectueux des gens qui y vivent plutôt que l’inverse. Autant le savoir, ne suis-je pas non plus la première à faire un tour sur la toile pour évaluer le choix d’un hôtel ou d’une destination de voyage ? A la différence près que ce sont les voyageurs qui notent l’hôtel et qu’aujourd’hui ceux-ci ont plus de poids que les classifications usuelles des professionnels de ce secteur d’activité. D’un autre côté, je suis abasourdie par l’énormité de la chose. Comment en sommes-nous arrivés là ? Que ces institutions dont la mission et le cœur du métier est de prendre soin des personnes que nous leur confions doivent attester qu’elles ne les maltraitent pas.
Alors à quand un label pour le meilleur employeur ? Sauf que là, j’ai du retard, il existe déjà depuis quelques années! L’article paru dans Le Temps « La face cachée des labels attribués aux meilleurs employeurs » décortique l’envers des labélisations et révèle que la plupart de ces labels n’interrogent pas les principaux intéressés. Des labels qui déterminent les meilleurs employeurs sans demander leur avis aux employés ?
A quoi peuvent bien servir ces labels, si on n’invite pas les principaux intéressés à s’exprimer ? Pour l’entreprise, à justifier qu’elle a des procédures RH en place, à promouvoir un traitement équitable entre femmes et hommes, ou encore l’établissement d’une grille salariale transparente. Toutes ces démarches sont louables et utiles. Ce qui me questionne, c’est que malgré l’attribution de ces labels, la qualité de vie des travailleurs ne semble pas s’améliorer, bien au contraire. Sous le couvert de la bonne intention se cache la véritable motivation des organisations : la peur. La peur de devoir se justifier, d’être accusées à tort ou à raison et pour éviter cela, elles prennent des mesures pour prouver qu’elles disposent de procédures, de règles, de labels qui les protègent en oubliant qu’elles travaillent avec des humains. Comme si elles cherchaient à réduire « le risque humain » à zéro.
Aujourd’hui, un contre-courant émerge, porté par des personnes qui aspirent à retrouver du sens dans ce qu’elles font, a simplement faire le travail « sans être embêtées », avec plaisir, énergie ou encore passion, à évoluer dans un environnement dans lequel les relations sont harmonieuses, positives et responsabilisantes pour chacun, où la simplicité, le bon sens et la confiance guident les échanges, où la reconnaissance n’est pas le privilège de quelques-uns et la structure est au service de l’humain et non le contraire. UTOPIE ?
Cette utopie a un nom, elle s’appelle entreprise libérée ou libérante ou encore entreprise autogouvernée. La première a vu le jour au Pays-Bas en 2006, grâce à Jos de Blok qui a quitté son emploi et créé l’entreprise de soins à domicile Buurtzorg. Le livre de Frédéric Laloux « Reinventing Organizations » témoigne de cette incroyable histoire qui commence à essaimer un changement complet dans la manière d’envisager les rapports au travail un peu partout dans le monde jusqu’en Suisse romande ! Cette transformation débute aussi chez nous où plusieurs personnes à la tête d’entreprises, telles qu’Uditis, Berdoz Optic et Loyco, ont décidé de faire ce choix. Le chemin est escarpé et avant tout il débute par soi-même. A la place d’attendre le changement de l’extérieur, il nous invite à nous changer nous-même. Sommes-nous prêts à cela ? Et si nous choisissions la belle vie au travail ?
Il est d’ailleurs intéressant de constater que les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) ne rejoignent pas les critères identifiés par F. Laloux pour être considérées comme entreprises libérantes, alors qu’elles proposent un environnement de travail « fun » et des prestations variées.